'Réplique', Solo Show mit Simone Holliger, Zürich 2023

'Réplique', VC7 Openspace, Zürich 2023

Lena Amuat & Zoë Meyer et Simone Holliger
Celles qui restent, ce qui résistera

Des blocs en équilibre instable marquent peut-être le basculement d'un monde. Malgré ce trouble fragile, transitoire, précieux, un soupçon de vie persiste, celui de la matière des choses. Entre carte blanche, esprit d'échange et subjectivité mouvante, Lena Amuat & Zoë Meyer invitent l'artiste Simone Holliger à dialoguer avec elles, le temps d’une exposition. Dans les photographies du duo, une collection d’objets décontextualisée se donne à voir sans livrer provenance ou temporalité. Entre platitude et profondeur, plasticité et gestualité, Simone Holliger, quant à elle, importe la pratique du dessin dans le champ de la sculpture. C'est là qu'un brusque glissement secoue et fait surgir la corporéité d'une mémoire, d'un objet, d'un morceau de papier, d'une forme, d'un mouvement. À l'épicentre, une communauté de choses apparaît ou disparaît, puis se métamorphose. Tout relève désormais bien plus de la bifurcation, de la faille, de l'asymétrie et non d'une certaine hiérarchie ou authenticité. Si une autre histoire se dessine, se sculpte et se fait image, des fictions semblent animer secrètement cette exposition. Entre nature et artifice, sujet et objet, vivant et non-vivant, toutes ces polarités sont suspendues au vertige et au doute qui nous saisissent.

Si la persistance semble relier et rassembler ces trois artistes, c'est en se réappropriant l'usage mémoriel de la photographie ou encore en déjouant certains codes du modernisme ou du post-modernisme en sculpture. Lena Amuat & Zoë Meyer, accompagnées de leur studio photo mobile, travaillent ensemble depuis plusieurs années en explorant les réserves de musées et de collections universitaires. Leurs photographies raniment une histoire de la représentation de l'objet en retraçant en même temps l'histoire de la science, de l’ethnographie voire de l’archéologie. Au cœur de leur processus photographique, c'est toute une fabrique des savoirs et des outils de la connaissance qui est ici mise en scène avec intelligence et parfois malice par
la présence d'indices subtils. L'absence ou la perte stimulent notre imagination, comme dans leur série Verlorene Sammlung où des masses noires telles des ombres figurent l’absence d'objets issus de fonds perdus d’une collection de céramiques. Si le musée est un accumulateur de temps, les modèles et artefacts photographiés traduisent la vision occidentale d’une époque, entre instruction et inventaire, transmission et oubli. Alors que l’archive et le geste mémoriel ont participé au projet encyclopédique, ces séries d'images sondent ce qui relève d'une politique d'exportation et de prévention des œuvres et des biens culturels. Reconsidérant la muséologie comme champ d'action et de réflexion à l'aune de la restitution des objets d'art, les deux artistes privilégient une temporalité alternative qui bifurque afin de déconstruire voire de dérégler la représentation séquentielle d'un temps historique.

De l'objet à la forme, de la représentation à la présence de volumes, notre perception est prise dans un feuilletage permanent. Simone Holliger donne forme à un ensemble de sculptures afin de façonner au fil du temps les bases d'un vocabulaire formel en perpétuel devenir. L'artiste assemble des morceaux de papier à la colle chaude puis les travaille à la craie, au crayon, au spray, à la peinture de bateau ou à la cire. Ayant leur propre logique, chacune de ces sculptures se complète dans l'accumulation afin d'aller au-delà des limites de la matière. Avec l'édition intitulée Collection permanente, l'artiste propose une archive des potentialités de sa sculpture. Elle a procédé à la documentation de petites sculptures qui sont ici compilées, là où ses grandes pièces sont très souvent détruites ou recyclées, comme l'une des sculptures de cette exposition conçue in situ et faite à partir des éléments d'une précédente installation, présentée en 2021 au Musée des Beaux-Arts de Soleure. À la géométrie complexe et aux surfaces irrégulières et saillantes, ces œuvres se concentrent sur le corps, sa présence et son absence, car à la fois massives, flottantes, parfois difformes et souvent majestueuses et imparfaites, leur taille, leur format en imposent. Organiques, presque baroques, ces œuvres s'amusent avec l'impression d'être ce qu'elles ne sont pas lorsqu'elles empruntent l'aspect solide du métal ou la fragilité de la céramique. Selon la lumière, la température, la condition de chaque moment est prise dans un mouvement à la limite de l'effondrement.

Dans Forme et objet. Un traité des choses, Tristan Garcia conçoit une « ontologie plate » qui explicite comment les choses se découpent, et comment elles en arrivent à former un monde. Si la modernité est un devenir chose, une encyclopédie luxuriante de nos objets, de leur ordre et de leur désordre, a façonné les grandes querelles sur le classement des objets autour de nous, des objets en nous et de nous-mêmes en tant qu’objets. Rien n'est plus que quelque chose, rien n'est moins que quelque chose, car ce qui semble inerte est bien plus vivant qu'il n'y paraît.

Text by Marianne Derrien, 2022

Simone Holliger 
VC7 Openspace

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